dimanche 12 août 2018

Photographies de mémoire

Dans ce roman largement autobiographique, l’auteur raconte sa rencontre avec le photographe allemand Herbert List, nommé ici Joachim Lenz, et évoque son travail.
Chacune des photographies enregistrait la manière dont, à un moment donné, un visage, une scène, un objet s’était matérialisé en un ensemble de lignes et de masses, de valeurs lumineuses et ombrées, qui résumaient la comédie de sa propre existence, entremêlée à sa perception. Il piégeait la collision d’objets disparates dans l’espace-temps : des lunettes à monture métallique posées sur le parapet d’un balcon surplombant la mer qui, elle même, ceinture une île grecque ; le caleçon d’un mendiant accroché sur une corde à linge, tout en haut d’une rue napolitaine tortueuse, fouetté par le vent et déformé jusqu’à ressembler à un visage narguant la robe et les rangées de perles d’une Romaine élégante qui déambulait dans la rue ; le contraste d’enfants noirs jouant dans un parc devant les gratte-ciel qui bordent le lac Michigan, des corps blancs et riches face à de pauvres corps bruns sur les plages de Rio de Janeiro. Les sujets de ses photographies avaient l’air d’attirer l’attention sur eux, de pointer le doigt, de dire : « Me voici ! Regarde ! Comme nous sommes extraordinaires ! », et — exclamation souvent proférée par Joachim au cours d’une conversation — « Comme c’est DRÔLE ! ».
Stephen SPENDER, Le Temple,
 Christian Bourgois Editeur, 1989, p. 111 (trad. Guillaume Villeneuve)

Suisse, Lac des Quatre-Cantons, 1936

Hamburg, Linge à Finkenwerder, 1930

Martinique, 1957

Photographies de Herbert List © Magnum Photos,
 ainsi que la couverture du roman représentant Franz Büchner (1929), l’un des personnages intégrés au roman (Heinrich).