samedi 4 mai 2019

Fresques disparues à Venise

Le Fondaco dei Tedeschi (« l’entrepôt des Allemands ») à Venise a brûlé en 1505. Il fut reconstruit à partir de 1507 et les fresques furent confiées à Giorgione (côté canal) et à son jeune disciple Titien (côté rue). Or ce dernier commence à s’émanciper et à avoir son propre succès, malgré son jeune âge (20 ans).
Le nouveau Fondaco, jour après jour, empilait ses pierres blanches sur la rive du Grand Canal. Le 15 avril 1507, je reçus l’ordre de commencer les fresques. Titien et moi allions continuer notre insidieux combat, cette fois-ci en plein ciel, perchés comme deux oiseaux au-dessus de la plus belle avenue du monde.
Nous nous sommes, Titien et moi, préparés en même temps. J’avais donné des ordres pour que tout l’atelier nous aidât et fît comme s’il s’agissait d’une commande globale. Je ne poussai pas la générosité jusqu’à former deux équipes identiques. Vu la différence des surfaces à peindre, je n’adjoins que quelques assistants à Titien, me réservant la majorités des élèves. Titien ne dit rien. […]
Je ne suis pas sujet au vertige. Arrivé en haut, je retrouvai la sensation de voguer au milieu des nuages. […] Leste comme un chamois, Titien arriva le premier en haut de l’échafaudage. Il me tendit la main pour me hisser avec lui au sommet. Toujours tendre avec moi-même, je m’apprêtais à y voir un symbole assez désagréable, lorsque je m’aperçus que Titien devait passer par ma façade pour atteindre la sienne. Chaque jour, durant dix-huit mois, Titien fut ainsi obligé de se frotter à ma fresque. Ce fut un jeu dangereux. S’est-il inspiré de mes figures ? Ou bien les miennes, par une étrange osmose, ont-elles subi l’influence de leurs voisines ? Toujours est-il que leur ressemblance a troublé et que le vainqueur ne fut pas celui que l’on croyait.
Claude CHEVREUIL, Les Mémoires de Giorgione,
 Livre de Poche, 2000, pp. 306-8

Vasari, qui décrivit la façade du Fondaco dei Tedeschi quelques décennies après l’achèvement, faisait part de son admiration mais aussi de l’état des fresques, attaquées déjà par l’humidité de la ville et par l’air marin. Au XIXe siècle, il n’en reste plus que des traces et on sauvera les ultimes vestiges lors de la restauration du bâtiment en 1966. Le même Vasari déclarait ne pas comprendre le thème développé par Giorgione. Une hypothèse récemment proposée tend vers une représentation des travaux d’Hercule.

Giorgione, La Nuda, Palazzo Grimani

Aquarelles représentant la façade du Fondaco au XIXe siècle par Zaccaria dal Bo

gravure de Giacomo Piccini datant de 1658 © British Museum
Titien (parfois attribué à Giorgione), Judith ou La Justice, Galleria Francetti, Venise.
La fresque aujourd’hui et au-dessus, des copies anciennes alors qu’elle était encore visible sur la façade.