mardi 20 décembre 2022

Never Let Me Go



Mais je voulais parler de ma bande, Chansons après la tombée de la nuit par Judy Bridgewater. Je suppose que c’était à l’origine un 33-tours — la date d’enregistrement est 1956 —, mais c’était la cassette que j’avais, et la photo du boîtier devait être une version réduite de la pochette du disque. Judy Bridgewater porte une robe en satin violet décolletée sur les épaules, une mode populaire à l’époque, et on la voit juste à partir de la taille parce qu’elle est assise sur un tabouret de bar. Je pense que c’est censé se passer en Amérique du Sud, parce qu’il y a des palmiers dans le fond et des serveurs basanés en smoking blanc. Vous regardez Judy depuis l’endroit exact où se trouve le barman quand il lui sert à boire. Elle jette un coup d’œil derrière elle, l’air aimable, pas trop sexy, comme si elle flirtait un tout petit peu, mais vous êtes une vieille connaissance. L’autre détail de l’illustration, c’est que Judy pose les coudes sur le bar et qu’une cigarette brûle entre ses doigts. Et c’est à cause de cette cigarette que j’ai fait tant de mystère à propos de la cassette, dès le moment où je l’ai trouvée à la Vente. 
Je ne sais pas comment c’était là où vous étiez, mais à Hailsham les gardiens se montraient vraiment stricts au sujet du tabac.
Kazuo ISHIGURO, Auprès de moi toujours, Folio, p. 110 (trad. Anne Rabinovitch)