dimanche 29 janvier 2017

Un tableau de Léonard apocryphe

Rapidement, personnage par personnage, je comparai les photographies. Il y avait bien une dissemblance minime. Dans presque tous leurs détails, les deux tableaux semblaient identiques, mais un personnage parmi la trentaine qui occupait la scène avait été retouché. Sur la gauche, là où la procession serpentait au flanc de la colline vers les trois croix, le visage de l’un des assistants avait été complètement repeint. Alors qu’au centre du tableau le Christ était affaissé sur la croix quelques heures après le supplice lui-même, grâce à une sorte de perspective spatio-temporelle – procédé communément employé par les peintres de la Renaissance pour pallier la nature statique du panneau unique –, la procession faisait reculer l’action dans le temps, de sorte qu’on pouvait, en remontant le cortège, suivre la présence invisible du Christ dans sa douloureuse ascension du Golgotha. Le personnage dont le visage avait été repeint faisait partie de la foule qui se massait au bas de la colline. C’était un homme de haute stature, puissamment bâti, vêtu d’une robe noire. Léonard l’avait peint avec un soin particulier et lui avait donné cette magnifique prestance et cette grâce féline qu’il réservait habituellement aux anges.
J. G. BALLARD, « Le Vinci disparu » (1964)
in Nouvelles complètes, tome 2, p. 291, Tristram

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