lundi 19 février 2018

Peintures sur éventail

Le premier éventail, juste au-dessus de la lampe, représentait un vol de grues cendrées au couchant sur fond d’eaux miroitantes, couleur de pluie dans la lumière rosée, la pointe des ailes et les pattes noires, le bec effilé. On distinguait même la peau écarlate du crâne de chacune d’elles, en formation au-dessus des prairies de joncs. Tracés pareillement à l’encre, ces quelques mots :

 Bientôt en cendre 
dans cette brume d’un soir – 
vol de grues cendrées 

 Mal éclairé, le deuxième éventail montrait un personnage en difficulté sur un pont suspendu, guerrier de jadis appuyé sur sa lance qui tentait de gagner l’autre rive malgré la rivière torrentueuse comme une coulée de métal en fusion. Le poème disait, je me souviens :

 Traversera-t-il 
l’épée tranchante du temps 
le vieux samouraï 

 À peine distinct, le troisième éventail devait avoir été abandonné en cours d’élaboration car des coulures encore fraîches rendaient l’inscription illisible. Matabei n’avait pas eu la force de le sécher. On observait seulement un grand ciel d’automne avec une envolée de feuilles d’érable au premier plan et, au loin, le mont Jimura. Alors que mes yeux se plissaient sur cette énigme, mon maître s’exclama, d’une voix pourtant si faible : « Quand c’en sera fini de cette pénible comédie, promets-moi d’achever dignement le travail, cher fils… »
Hubert HADDADLe Peintre d’Éventail,
 Zulma, 2013, pp. 17-18

estampe d'une série appelée "Seichû gishi den", 誠忠義士傳,
réalisée entre août 1847 et janvier 1848 par Utagawa Kuniyoshi.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire