vendredi 2 mars 2018

Le Caravage décrit un de ses tableaux

Caravage, Les Sept Œuvres de miséricorde,
 1607, Huile sur toile, 390 × 260 cm, église Pio Monte della Misericordia, Naples
C’est pour certains d’entre eux, le marquis de Villa et les six autres fondateurs du Pio Monte della Misericordia, que je peignis la toile la plus difficite et la plus peuplée de ma vie : je devais y représenter les sept œuvres de miséricorde réunies, et me compliquai encore les choses en décidant de situer la scène dans une ruelle étroite de Naples, qui restreignait davantage la perspective. Je plaçai au premier plan neuf personnages, trois « assistants » et six assistés, pour donner une vague idée des proportions réelles du phénomène : une femme qui, telle la fille de Cimon rendant visite à son père prisonnier, nourrit l’affamé en l’allaitant ; un saint Martin qui habille celui qui est nu et secourt le malade ; un hôte qui désaltère un assoiffé tout en accueillant deux pèlerins. Dans le fond, un diacre brandit une torche qui éclaire à la fois les pieds de la dépouille et le chemin du croquemort qui la porte au tombeau : la septième œuvre de miséricorde, la sépulture des morts. Les « assistants » sont tous haletants, épuisés, comme les habitants d’une ville assiégée, et semblent bouleversés ; ils ne parviennent pas à écouter leurs assistés, trop nombreux pour eux. Leurs visages rappellent ceux des bourreaux du Crucifiement de saint Pierre de Santa Maria del Popolo, tous sont absorbés par leur propre travail : la banalité du bien. Et nous en sommes déjà à onze personnages. Douze avec le mort. Ce ne serait pas une ruelle de Naples si elle n’était pas grouillante de vie, des gens et du linge qui pend aux balcons. Un enchevêtrement d’ailes et de draps blancs, les anges les plus lourds de la peinture de tous les temps. L’un d’entre eux semble tomber d’un balcon et l’autre tendu pour le retenir, et ils ont une ombre. Et comment ! Au point que, sur le mur de la prison d’en face, elle évoque celle d’un pantalon mis à sécher. Au-dessus des anges, une Vierge à l’Enfant qui ne semble pas descendre du ciel, mais plutôt regarder par la fenêtre du premier étage, car il y a sept étages au-dessus d’elle et que, dans cet enfer, personne ne voit jamais le ciel.
Francesco FIORETTI, Dans le miroir du Caravage,
 p. 245-6, Editions Hervé Chopin, 2016 (trad. Chantal Moiroud)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire