Rogier van der Weyden, Retable de Miraflores, vers 1442-1445, Huile sur panneau, 71 × 43 cm, Gemäldegalerie, Berlin |
Maintenant, ils remontaient la nef en direction de l’autel. Le père Martin s’approcha d’un pilier placé près de la chaire et pressa un interrupteur. Aussitôt, l’obscurité de l’église parut se renforcer tandis qu’avec une soudaineté théâtrale, le tableau prenait vie et couleur. La Vierge et saint Joseph, figés depuis cinq cents ans dans une silencieuse adoration, parurent un instant se détacher du bois sur lequel ils étaient peints et rester suspendus comme une tremblante vision. La Vierge se découpait sur un fond de brocart or et brun dont la richesse soulignait sa simplicité et sa fragilité. Elle était assise sur un tabouret bas avec l’Enfant-Dieu sur les genoux, couché sur un drap blanc. Son visage à l’ovale parfait était pâle, son nez mince et sa bouche délicate, et sous ses sourcils joliment arqués ses yeux aux lourdes paupières se tenaient fixés sur l’enfant avec un émerveillement résigné. De son haut front lisse, des mèches de cheveux frisés châtain-roux cascadaient sur le manteau bleu jusqu’aux mains fines rassemblées en prière. L’enfant levait les yeux vers elle, les bras écartés, comme en préfiguration de la crucifixion. Vêtu d’un manteau rouge, saint Joseph était assis sur la droite du tableau, prématurément vieux, gardien à moitié endormi, lourdement appuyé sur un bâton.
Un moment, Dalgliesh et le père Martin demeurèrent silencieux. Ce n’est qu’après avoir éteint la lumière, lorsque la magie du tableau cessa d’opérer, que le père Martin reprit la parole.
« Les experts semblent d’accord, dit-il alors. II s’agit d’un Rogier Van der Weyden authentique, probablement peint entre 1440 et 1445. Les deux autres panneaux devaient représenter des saints avec des portraits du donateur et de sa famille. »
Dalgliesh demanda : « Comment se fait-il qu’il soit ici ?
— Miss Arbuthnot en a fait don au collège un an après sa fondation. Elle voulait qu’il serve de retable, et nous ne pouvons l’imaginer ailleurs qu’au-dessus de l’autel. C’est mon prédécesseur, le père Nicholas Warburg, qui a fait venir des experts. La peinture l’intéressait beaucoup, notamment la Renaissance hollandaise, et il était curieux de savoir si le tableau était authentique. Dans le document accompagnant son don, Miss Arbuthnot en parlait simplement comme d’un triptyque représentant Marie et Joseph, peut-être de Rogier Van der Weyden.
P. D. JAMES, Meurtres en soutane,
Fayard, 2001, trad. Éric Diacon, Livre de Poche, pp. 90-1