Jacques-Louis David, La Mort de Marat, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, 1793, huile sur toile, 165 × 128 cm |
Je regarde le tableau de David peint en 1793, Marat assassiné. On y voit Marat, le révolutionnaire jacobin, mort dans sa baignoire. Il a une serviette enroulée autour de la tête comme un turban, la main qui pend hors de la baignoire tient encore une plume. Il est là, mort et saignant, entre blanc et bleu. C’est d’un calme, d’un silence... on croirait entendre un requiem. Le couteau fatal se trouve dans le bas du tableau.
J’ai essayé à plusieurs reprises d’en faire une copie. Le plus difficile à rendre, c’est l’expression de Marat : les Marat que je produis semblent tous un peu trop à l’aise. Or celui de David ne montre aucune trace de la rancune que peut ressentir un jeune révolutionnaire qui s’est fait surprendre ni de la paix qu’éprouve un tourmenté ayant définitivement quitté ce monde. Il semble à la fois serein et dolent, il hait et il comprend en même temps. Ces sentiments contradictoires enfouis en nous-mêmes, David les a transposés sur le visage d’un mort. Les yeux du spectateur s’arrêtent d’abord sur le visage de Marat : il ne révèle rien. Le regard peut se déplacer ensuite dans deux directions : soit il se pose sur la lettre au bout des doigts, soit il suit l’autre bras qui dépasse de la baignoire. Marat, même mort, a conservé deux objets : la lettre et la plume. Il a été assassiné par une terroriste qui l’a approché en prétendant vouloir lui remettre un pli. Elle l’a frappé par surprise à l’instant où il allait écrire la réponse. C’est cette plume, tenue encore fermement, qui donne une tension si forte à ce tableau paisible et calme. David est génial. Ce n’est pas l’extase qui donne l’extase. Il faut être sec et froid. C’est la vertu suprême chez un artiste.
KIM Young-ha, La mort à demi-mots,
traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, Picquier, 1998, pp. 11-12
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