mardi 13 août 2024

Un tueur devant le tableau d’un mort

Jacques-Louis David, 
La Mort de Marat
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique,
1793, huile sur toile, 165 × 128 cm

 Je regarde le tableau de David peint en 1793, Marat assassiné. On y voit Marat, le révolutionnaire jacobin, mort dans sa baignoire. Il a une serviette enroulée autour de la tête comme un turban, la main qui pend hors de la baignoire tient encore une plume. Il est là, mort et saignant, entre blanc et bleu. Cest dun calme, dun silence... on croirait entendre un requiem. Le couteau fatal se trouve dans le bas du tableau.

Jai essayé à plusieurs reprises den faire une copie. Le plus difficile à rendre, cest lexpression de Marat : les Marat que je produis semblent tous un peu trop à laise. Or celui de David ne montre aucune trace de la rancune que peut ressentir un jeune révolutionnaire qui sest fait surprendre ni de la paix quéprouve un tourmenté ayant définitivement quitté ce monde. Il semble à la fois serein et dolent, il hait et il comprend en même temps. Ces sentiments contradictoires enfouis en nous-mêmes, David les a transposés sur le visage dun mort. Les yeux du spectateur sarrêtent dabord sur le visage de Marat : il ne révèle rien. Le regard peut se déplacer ensuite dans deux directions : soit il se pose sur la lettre au bout des doigts, soit il suit lautre bras qui dépasse de la baignoire. Marat, même mort, a conservé deux objets : la lettre et la plume. Il a été assassiné par une terroriste qui la approché en prétendant vouloir lui remettre un pli. Elle la frappé par surprise à linstant où il allait écrire la réponse. Cest cette plume, tenue encore fermement, qui donne une tension si forte à ce tableau paisible et calme. David est génial. Ce nest pas lextase qui donne lextase. Il faut être sec et froid. Cest la vertu suprême chez un artiste.

KIM Young-ha, La mort à demi-mots, 

traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, Picquier, 1998, pp. 11-12

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire