mercredi 31 octobre 2018

Un appartement d’écrivain

Il s’était tiré une balle dans la bouche un an auparavant presque jour pour jour dans son appartement du quai Voltaire. Un appartement paraît-il un peu délabré, un peu délaissé, où il vivait seul, replié sur ses secrets, entouré de ses livres, entouré de froides statues antiques auxquelles il avait fini par ressembler – tant il est vrai qu’avec les années, juste avant de disparaître complètement, on tend à se confondre avec son décor. Il était quatre heures de l’après-midi, quatre heures précises, ce jeudi 21 septembre, jour de l’équinoxe, et avant d’actionner la gâchette de son revolver il avait pris soin, pour être sûr, d’avaler pour partie le contenu d’une ampoule de cyanure.
Eh bien c’est à lui que je pensais, Henry de Montherlant, alors que nous suivions l’avenue Raymond-Poincaré, laissant derrière nous la rue Lauriston. Ici, au début de cette rue, se trouvait la maison où il avait passé ses toutes premières années. Il existe une photographie où l’on voit le jeune Montherlant – il est âgé d’environ cinq ou six ans – posant à l’entrée de cet hôtel particulier construit en léger retrait, si discret que, longeant le trottoir, on le remarque à peine. Sur cette photographie on aperçoit la grille, les deux piliers de briques et de pierre, l’enfilade des immeubles dans la rue, la devanture d’un commerce, et là-bas, au bout, fermant la perspective, une carriole.
Il existe aussi un cliché le montrant à la fin de sa vie, dans cet immense appartement habité principalement par des statues. Il est photographié justement parmi ces marbres antiques, assis dans son salon, ce salon bas de plafond, donnant sur le quai, où il recevait ses rares visiteurs, les autres pièces étant interdites. Henry de Montherlant est là, dans ce cadre minéral, au milieu de ces bustes qui étaient sa seule famille, une famille de pierre, immobile et muette. Visage fermé, regard dur, teint de cire, cheveux en brosse.
Combien sont-elles, ces statues ? Six, huit ? Huit visibles. Mais combien que le cliché ne nous montre pas, noyées dans le flou du premier plan, cachées par le fauteuil ou par telle autre ? Il y en a partout, et c’est vrai que Henry de Montherlant peut facilement passer pour l’une d’entre elles.
Thierry DANCOURTHôtel de Lausanne,
 La Table Ronde, 2008, p. 33-34

Montherlant devant chez lui à l'âge de 6 ans,
photo non créditée, figure à la p. 16 du volume des « Ecrivains de toujours » consacré à Montherlant, par Pierre Sipriot (Seuil, 1975)

Montherlant dans son appartement,
crédits inconnus, peut-être Mangeot / Paris-Match

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